Ce qu'est l'ANARCHIE et
plus encore l'ANARCHISME ?
Quelle est son histoire?
Nous vous proposons ces quelques textes, pour découvrir ce que
peuvent bien être ces idées qualifiées
d'Anarchistes, de Libertaires où bien encore
d'Acrates.
Anarchisme par le Living Theatre
Qu'est ce que l'anarchisme?
Définir l'anarchisme est une
tâche des plus délicates. Nous avons affaire à un
phénomène complexe dont les expressions historiques,
tant au niveau de la pensée que de l'action, sont multiples.
Malheureusement, la plupart des définitions, même celles
élaborées par des commentateurs sympathisants, sont
simplistes et n'arrivent pas à embrasser l'ensemble de ses
caractéristiques.
Dans presque tous les ouvrages que j'ai lus
sur le sujet, l'anarchisme est défini de façon
négative, c'est-à-dire par ce à quoi il
s'oppose. En se basant sur la racine grecque du mot (anarkhia,
absence de chef), on présente l'anarchie comme «
l'absence de gouvernement » et l'anarchisme comme «
l'idée qu'une société peut et doit s'organiser
sans gouvernement ». Le problème avec ces
définitions, c'est qu'elles n'en sont tout simplement pas. Une
définition, si je me base sur mon Petit Lafrousse, est une
« énonciation de ce qu'est une chose, de ses
caractères essentiels, de ses qualités propres ».
Si je dis qu'une pomme n'est pas un animal, personne n'osera dire que
j'ai énoncé les caractères essentiels de ce
phénomène !
Une définition adéquate de
l'anarchisme ne doit pas se limiter à son aspect critique mais
également en exposer le projet de société ainsi
que les moyens de changement social. De plus, il est essentiel
d'expliquer les bases philosophiques de l'anarchisme, en particulier
sa conception de la liberté et de la nature humaine.
Voici donc ma définition personnelle
de l'anarchisme. Comme vous le constaterez, elle comporte quatre
parties, qui seront expliquées plus en détail dans le
texte qui suit.
* * *
ANARCHISME. n.m. Philosophie politique qui,
à partir d'une définition tripartite de la
liberté et d'une conception spécifique de la nature
humaine, offre une critique radicale des liens de domination
hiérarchiques, un projet de société
antiautoritaire et une stratégie de changement social
basé sur l'action directe.
La liberté
Tout comme les libéraux, les
anarchistes ont une conception négative de la liberté,
c'est-à-dire que la liberté est l'absence de
contraintes. L'individu libre est celui qui n'est pas soumis à
des contraintes extérieures à lui-même.
À cette conception négative
s'ajoute une conception positive de la liberté. Tous les
anarchistes considèrent que la liberté est
également une potentialité, la possibilité pour
l'individu de se réaliser et d'atteindre son plein
potentiel.
Enfin, les anarchistes ont une conception
sociale de la liberté, qui a pour conséquence de lier
de façon indissociable la liberté et
l'égalité. En effet, l'anarchisme postule que
l'individu ne peut être totalement libre qu'au sein d'une
société composée d'individus libres. Ainsi, pour
Bakounine, « l'homme n'est réellement libre qu'autant que
sa liberté, librement reconnue et représentée
comme par un miroir par la conscience libre de tous les autres,
trouve la confirmation de son extension à l'infini dans leur
liberté. L'homme n'est vraiment libre que parmi d'autres hommes
également libres ; et comme il n'est libre qu'à titre
humain, l'esclavage d'un seul homme sur la terre, étant une
offense contre le principe même de l'humanité, est une
négation de la liberté de tous. »
(Catéchisme révolutionnaire)
Une critique de la
société actuelle
Toutes les variantes de l'anarchisme ont en
commun une critique des sociétés contemporaines qui se
base sur des principes antiautoritaires découlant de leur
conception de la liberté.
Les anarchistes contestent tous les
rapports de domination hiérarchique, de quelque nature qu'ils
soient (oppression de classe, de race, de sexe, d'orientation
sexuelle, domination de la nature). La critique anarchiste
s'étend à toutes les institutions oppressives telles
que l'Église, l'armée, la police, ad nauseman et en
tout premier lieu l'État, qu'ils considèrent comme
l'institution suprême de domination.
L'étendue de cette critique est
d'ailleurs un des facteurs qui distingue l'anarchisme du marxisme.
Comme l'a fait remarquer Henri Arvon, l'anarchisme conteste
l'oppression autant que l'exploitation, l'autorité autant que
la propriété et l'État autant que le
capitalisme. Ceci explique pourquoi plusieurs écologistes,
féministes, pacifistes, syndicalistes et militants pour les
droits de la personne sont attirés par l'anarchisme.
Un projet de
société libertaire
Est anarchiste toute idéologie dont
le projet de société, appelé anarchie, est
déterminé par cette conception de la liberté. Ce
projet varie selon les types d'anarchisme, mais la plupart
prescrivent des structures sociales non hiérarchiques,
radicalement démocratiques et
décentralisées.
Pour les individualistes, la
société n'est pas un organisme mais une simple
collection d'individus autonomes. Pour satisfaire son
intérêt personnel, l'individu peut s'unir aux autres et
s'associer, mais cette association ne reste qu'un moyen pour servir
sa fin.
Les anarcho-syndicalistes sont les
héritiers du collectivisme de Bakounine. Selon leur vision de
la société anarchiste, les syndicats exproprient le
capital et chaque groupe de travailleurs dispose de ses propres
moyens de production. La répartition des produits et des
services est alors l'objet d'une décision collective.
Finalement, les anarcho-communistes (ou
communistes libertaires, ou communistes anarchistes) prévoient
l'établissement de communautés (communes)
autogérées où tous travailleraient selon leurs
capacités et tous consommeraient selon leurs besoins. Ces
communautés sont fédérées pour
exécuter en coordination des projets les concernant.
La nature humaine
Les anarchistes ont également en
commun une perception de la nature humaine qui justifie la
viabilité d'une telle société libertaire.
Cette perception n'est toutefois pas la
même chez tous les anarchistes. Par exemple, Kropotkine
considérait que l'instinct de coopération d'aide
mutuelle prédominait chez toutes les espèces animales
et trouvait son incarnation parfaite chez l'humain. Mais la plupart
des anarchistes ont plutôt développé une
conception existentialiste de la nature humaine, estimant que les
comportements humains s'adaptent aux structures et aux normes
sociales.
Quoi qu'il en soit, tous sont parfois
d'accord pour dire que l'humanité a la capacité de
vivre et de se développer sans être soumise à des
institutions hiérarchiques et répressives.
Une stratégie de
changement
Enfin, les anarchistes ont en commun
d'offrir une stratégie de changement révolutionnaire
impliquant l'institution immédiate de l'anarchie. Ils
s'opposent tous aux stratégies autoritaires (dictature du
prolétariat) ainsi qu'à la formation de partis
hiérarchisés, et sont généralement
abstentionnistes lors des élections. Les anarchistes croient
en la spontanéité révolutionnaire et
préconisent l'action directe, qui peut prendre plusieurs
formes.
C'est au sujet des stratégies de
changement que les anarchistes sont le plus partagés. Par
exemple, certains ont préconisé, principalement lors
des deux dernières décennies du XIXe siècle, une
forme de terrorisme appelée propagande par le fait. Mais
après une vague d'attentats individuels qui n'ont mené
qu'au rejet populaire de l'anarchisme et à un regain de
répression, cette stratégie a été
abandonnée par les anarchistes. Les anarcho-communistes
insistent quant à eux sur l'action communautaire, sur la
formation d'institutions libertaires sur une base locale qui pourront
renverser et remplacer l'ordre capitaliste et étatique. Les
anarcho-syndicalistes axent leur stratégie sur le syndicat,
qui est conçu comme l'embryon de la société
nouvelle ; ils préconisent des formes d'action directe comme
le sabotage, le boycott, la grève partielle et la grève
générale révolutionnaire. Les anarcho-pacifistes
insistent quant à eux sur l'action directe non-violente et sur
la désobéissance civile comme moyen de renverser
l'ordre hiérarchique oppressif.
Bien que les anarchistes soient
révolutionnaires et spontanéistes, il ne faut pas
croire pour autant qu'ils rejettent les formes de lutte partielles et
quotidiennes. Au contraire, des anarchistes comme
Élisée Reclus considèrent qu'évolution et
révolution font partie d'un même processus et que chaque
action peut être efficace si elle est conforme aux principes
anti-autoritaires. Les anarchistes considèrent
également l'éducation comme étant un des
principaux moyens d'accéder à la société
libertaire.
Il est toutefois à noter qu'une
minorité importante d'anarchistes n'est pas
révolutionnaire. En effet, la plupart des individualistes
anarchistes considèrent que les rêves de grands soirs
sont eux-mêmes potentiellement répressifs et estiment
que c'est à l'individu de se libérer en rejetant
lui-même la société dominatrice. Pour beaucoup
d'individualistes, être anarchiste signifie être un
« en dehors » et vivre selon ses propres principes, en
refusant de collaborer aux institutions oppressives. Cette attitude,
particulièrement répandue chez les individualistes
français du début du siècle, a mené
certains anarchistes (comme Georges Palante) vers une forme
d'individualisme aristocratique, d'inspiration
nietzschéenne.
Déclaration des anarchistes eux-mêmes devant un tribunal
en 1883.
Petite histoire de
l'anarchisme empruntée
à Marianne Enckell.
Définition de l'anarchie par Kropotkine.